"Paratge e Convivéncia"
"Paratge e Convivéncia", je sais d'où je viens, je sais qui je suis, et je suis curieux de te connaitre, de savoir ce que tu peux m'apporter. Et réciproquement.
La
promotion du "vivre ensemble" par nos institutions dans le contexte
actuel du cosmopolitisme urbain de nos sociétés occidentales est
louable. Nécessaire même. L'Occitanie prouve que ledit modèle est
viable. En effet, de par sa position géographique, carrefour migratoire
au cœur de l'Europe Occidentale, l'Occitanie est une terre
traditionnelle d'accueil de toutes les diasporas et ce, depuis les temps
les plus reculés de l'Humanité : "Paratge e Convivéncia", telle est
notre devise occitane depuis le Moyen Âge, une devise dont le sens est à
rapprocher du "Égalité et Fraternité" repris beaucoup plus récemment
par les institutions Françaises (Liberté-Égalité-Fraternité).
Ceci
étant, un paramètre est omis par nos gouvernants d'Europe Occidentale :
l'accueil des diasporas sur un territoire donné s'accompagne d'une
parfaite intégration à condition que ledit territoire possède une
culture forte, un socle identitaire solide. Dans ce contexte et sous
condition de tolérance, de respect mutuel, l'apport migratoire devient
alors une richesse supplémentaire, le "vivre ensemble", le partage et la
convivialité ("Paratge e Convivéncia") prend alors ici tout son sens.
On
constate aujourd'hui que, pour une raison démographique facile à
comprendre, le cosmopolitisme supplante finalement l'identité indigène
dans la plupart des grandes villes ; en République Française comme au
Royaume Uni, l'identité indigène tend donc à disparaître exactement pour
la même raison dans les mégapoles de ces deux États d'Europe
Occidentale. C'est un fait, un simple constat. Il semblerait même qu'il
s'agisse manifestement d'une évolution naturelle de la société Humaine
urbaine qui fait que toutes les grandes villes du monde finissent par se
ressembler.
Par
contre, et c'est là où je veux en venir, en zone rurale où normalement
la démographie n'altère pas les identités indigènes, ce sont les
institutions elles-mêmes qui depuis deux siècles travaillent à
l'éradication méthodique desdites identité autochtone ! c'est le cas au
Royaume Uni dont les institutions encouragent depuis très longtemps une
domination économique, sociale et culturelle Anglaise sur la nation
Écossaise, sur l'Irlande et sur le Pays de Galles. C'est même beaucoup
plus direct et assumé en République Française avec le modèle "jacobin"
du rapport dominant-dominé Paris-Province sur l'Occitanie, la Bretagne
et les zones frontalières périphériques (Corse, Alsace, Pays Basque,
Flandre, Catalogne).
Pas
la peine de préciser les motivations géopolitiques de cette politique
d'éradication identitaire gouvernementale, qu'elle soit anglophile pour
le Royaume Uni ou francophile pour la République Française. Le problème,
c'est que la nature a horreur du vide : lorsque il n'y a plus
d'identité indigène de référence, une identité de substitution prend sa
place. On a bien compris que la finalité des gouvernants Anglais et
Français était de substituer aux identités indigènes d'Écosse,
d'Irlande, d'Occitanie ou de Bretagne leur propre identité comme
référence culturelle exclusive. C'est une stratégie d'acculturation
d'État qui a été plutôt efficace de la fin du XIXème siècle et le milieu
du XXème. En revanche, on constate en ce début de XXIème siècle que les
politiques gouvernementales d'éradication des fondements identitaires
millénaires qui constituaient la richesse culturelle de l'Europe
Occidentale conjugué avec une immigration de masse est un terreau
favorable au communautarisme. Partant de là, de tristes sires tirent
leur épingle du jeu et se servent de manière abjecte du "rejet de
l'autre" pour exister politiquement. Voilà où nous en sommes...
Dès
la fin du XIXème siècle, on a pu constater ici les premiers résultats
de l'efficace politique d'acculturation Française : les habitants
d'Occitanie (Auvergne, Dauphiné, Aquitaine et Provence compris), devenus
orphelins de leur propre culture, ont adopté alors l'identité de
substitution proposée lors du formatage scolaire ; un autre paramètre à
prendre en compte : les institutions gouvernementales Françaises ont
aussi sans doute joué sur le conflit des générations en opposant la
"ringardise" de la culture d'òc ancrée dans un "passé médiéval
poussiéreux" et inexistant sur le plan géopolitique à la dynamique et au
progressisme du modèle Français qui à cette époque était à son apogée,
la France (comme l'Angleterre d'ailleurs) étant à la tête d'un immense
Empire colonial ; c'est ainsi que sous la IIIème République beaucoup
d'Occitans ont fait de la surenchère dans l'adoption du séduisant modèle
institutionnel républicain "jacobin" Français. Un exemple éloquent :
bien que l'Occitanie soit à ce moment-là déjà moins peuplée que la
moitié Nord de l'Hexagone, la majorité des présidents de la IIIème
République Française en étaient originaires : Adolphe Thiers
(Marseille), Marie-François Sadi Carnot (Limoges), Émile Loubet
(Marsanne), Armand Fallières (Mézin), Gaston Doumergue (Aigues-Vives),
Paul Doumer (Aurillac), six présidents de la IIIème République Française
sont nés en Pays d'Òc ! Quant au patriotisme des Méridionaux "tombés
pour la France" au moment de la Première Guerre Mondiale, il n'est plus à
prouver.
Pourtant,
durant la seconde moitié du XXème siècle, le modèle "jacobin" Français
commence à montrer des signes de faiblesse, avec une évolution des
mentalités : les générations d'après-guerre ont commencé à se tourner
vers une nouvelle identité de substitution en adoptant pour partie les
codes de la sous-culture Américaine. Il est plausible que cette
évolution sociétale soit également liée au conflit des générations, les
générations d'après-guerre finalement fantasmant sur le modèle Américain
par rejet de celui francophile-chauvin (et gaulliste à ce moment-là) de
leurs parents, modèle finalement un peu ringardisé à son tour (la roue
tourne !). Là encore, ce phénomène social a été particulièrement
flagrant en Occitanie, et même visible encore en ce début de XXIème
siècle : il est éloquent de constater que les chanteurs populaires
vivant aujourd'hui en Occitanie proposent dans la majorité des cas des
compositions en anglais, la francophonie étant devenu l'apanage soit des
artistes de la moitié Nord de l'Hexagone, soit, phénomène
d'acculturation également intéressant, celui d'artistes urbains issus de
l'immigration.
Aujourd'hui,
le "vide culturel" de notre société Occitane à peine compensé par le
fait que nous ayons (seulement) en commun le français standard comme
langue véhiculaire d'usage fait le jeu de l'adoption par une partie de
notre jeunesse en mal de repères d'une identité qui au fond (ils le
savent bien) n'est pas la leur, mais qui est en revanche très concrète,
avec des "valeurs fortes", une histoire bien réelle, et qui surtout est à
la fois "exotique" et "virile", qui plus est d'accès facile avec les
réseaux sociaux... D'autant plus accessible pour peu qu'il y ait
implanté à proximité un "noyau communautaire" péri-urbain.
Lorsque
il n'y a plus d'identité indigène de référence, une identité de
substitution prend sa place. Du coup, la récupération de notre véritable
histoire, de notre culture Occitane, Gasconne et Commingeoise à tous
les échelons, à défaut d'être une panacée pourrait être au moins ici un
vaccin contre le communautarisme : on ne se cherche pas une communauté
d'adoption à partir du moment où l'on assume ses origines. Et le fait de
se connaitre soi même évidemment n'empêche pas de s'intéresser aux
autres. "Paratge e Convivéncia", je sais d'où je viens, je sais qui je
suis, et je suis curieux de te connaitre, de savoir ce que tu peux
m'apporter. Et réciproquement.
L'ouverture
et l'échange sont enrichissants. Le repli communautariste, lui, est la
plaie de l'Humanité. L'actualité malheureusement le prouve.
Jérôme PIQUES le 05/06/2017
Per la lenga occitana ! |